Je crois que le nombre lutte contre l'oubli (Aiden & Billy)

Idée préconçue du bonheur, la stabilité du décor, les photos à l’envers imprimées sur du papier de mauvaise qualité à une époque où tout le monde gardait des cartons remplis de photographies tachées maintenant par les divorces, les remariages, les disputes, les séparations. Et sur le tableau de liège, Billy voyait très bien au centre son docteur la tenir par les épaules le jour de son entrée au collège, au dessus il y avait des bouts de magazines découpés par sa jumelle, des tirages de photomatons indigestes mais qui avaient une grande valeur sentimentale. Au-delà du cadre qui gardait tous ses miroirs d’adolescence, Billy n’arrivait pas à dire si sa chambre était vraiment sa chambre, elle se souvient avoir bousculé les espaces du dortoir pour moins que ça.



Et jusqu’à présent il n’y avait personne, elle s’en portait bien, depuis un moment le feu des cheveux de Venus ne passait plus dans son champ de vision. Elle commençait à penser que c’était une de ces logiques étranges qui s’appliquait dans sa vie - des au revoir bâclés, un peu inexacts, parfois, un semblant d’humanité, un coup de téléphone. C’était jusque la furie. 


Billy se redresse, s’appuie sur ses coudes pour dégager les mèches en bazar de son visage et le compte à rebours se déclenche à nouveau.
« Mmmmh, j’en doute, en fait Miss Thomas a dû se tromper, pour changer. » Elle s’assied au bord de son lit, les pieds qui tapent dans un toc indécent sur le parquet, elle passe ses cheveux derrière ses oreilles, c’est mécanique.

« Moi c’est Billy, enfin January sur les papiers, mais on m’appelle Billy, et Miss Thomas me prend souvent pour un garçon. Au bout de trois ans tu penserais que ça évoluerait mais non. J’ai cette chambre depuis le début en fait. Je pense pas que tu sois au mauvais endroit. »

Elle se lève et tend sa main pour serrer celle du garçon, derrière ses lunettes noires il a un air à la Matrix ou à la Men In Black.

« Ahah- t’en fais pas, j’ai ce surnom à cause de ma soeur... Et d’un animal en peluche. » Mais ça c’est une autre histoire, elle n’ajoute pas, daigne trouver ses yeux occupés sous les verres, Billy elle a l’habitude des changements dans le dortoir, ça va avec le rythme du campus, les gens vont et viennent alors, elle espère qu’il n’aura pas à bouger à droite et à gauche comme elle l’a fait. Pas que les tornades humaines commencent à la fatiguer mais si, un peu quand même.

« T’insinues que la longueur des cheveux aura une quelconque incidence sur le genre? Pauvres de nous, les filles qui portent la Pixie Cut alors. »

Le drapeau tricolore pendait au dessus du bureau de Billy, parfois, elle oubliait que ses remarques pouvaient provoquer un débat alors elle se taisait, ça valait mieux. La poigne d’Aiden garde un court effet sur la main de Billy qui s’avance comme pour demander son autorisation, elle en oublierait presque que les approches non-verbales sont pas toujours bien vues avec les inconnus et si Aiden pouvait quitter cette case sociale vierge aux yeux de la rouge, c’était probablement mieux. « J’vais juste mettre les affaires de Venus autre part, il faut que je les envoie par la poste, faut dire qu’on m’a pas prévenue de ton arrivée. T’as besoin d’aide? »

Billy. Ouais ça avait commencé de rien, en fait, c’était une enfant qui faisait que créer des histoires, imaginer que chez elle, il y avait une tour impénétrable et un dragon de cinq mètres de haut. Billy elle l’avait souvent entre les mains, elle arrivait pas trop à dire si c’était un reptile ou un lapin mais elle s’en fichait un peu, ça l’empêchait pas de l’aimer.
Elle était spéciale, c’était parti de là. Y avait rien de honteux derrière January, sauf un prénom sans réelle signification, donné entre deux souffles à l’hôpital par une mère en larmes dans les bras d’une personne floue que le passé ne veut pas identifier. Billy ça sortait souvent de la bouche de son grand frère, comme une fusée qu’il pouvait à tout moment envoyer dans les airs, Billy ça voulait dire; eh regarde-moi, allez, concentre-toi. Maintenant, c’est des apostrophes salées-sucrées, parfois dans un vide amer, lâché comme un appel à l’aide ou un cri de rupture. Elle sait qu’à une époque, c’était juste Billy, parce que c’était à elle, ça lui appartenait et ça lui suffisait. 

La rouge s’articule doucement, elle sort de ses pensées, hoche la tête, tend la main sans pour autant initier le contact avec son nouveau partenaire de galère: « Pixie, comme tes cheveux, très courts, mais quand même à la mode. » Elle affronte pas bien longtemps son regard, elle a du mal avec la façon dont sortent les mots de sa propre bouche, quelque chose bloque, mais c’est pas volontaire, c’est différent, c’est tout.

« De rien, de rien, je suis là pour ça et puis c’est la fin de l’année, c’est un peu une ambiance bizarre pour changer de chambre non? »

Les départs, précipités, les mains secouées au travers du couloir comme une marque d’amitié un peu décolorée, elle avait connu. Mais lui il chamboulait les plans, il arrivait au milieu du déluge sentimental des dernières semaines, et... c’était peut-être pas plus mal?

Au début les couleurs ne s’accordent pas bien, le beige fade des murs va avec les teintes du ciel, entre gris cruel et blanc tiède, les valises butent contre les marches des escaliers sans fin, un parent éloigné ricane dans les corridors, serre des mains, hoche la tête. Billy elle se souvient avoir quitté la résidence de Providence sans penser aux photos sur les murs, sans être vraiment sûre qu’il y en avait, une des gouvernantes postée près de l’entrée lui donnait un fourgon de sourires tous plus dociles, elle ne savait pas quoi faire. Dans la bousculade des départs elle avait grimpé dans la voiture de son frère, l’air couvrant son visage d’idées fantasques, un peu comme elle, il la tirait à l’intérieur, lui disait de rester tranquille - un peu comme si c’était un animal qui faisait le voyage pour la première fois, mais ils venaient juste déposer carton sur carton et signer de la paperasse. Le premier jour avait été le plus silencieux, Billy s’était assise sur le matelas retourné pour passer pour neuf et elle avait attendu ici jusqu’à ce que les arbres se colorent d’orange et de mélancolie.

« Ça va faire un moment... Je pense que j’ai dû changer une fois à cause d’une inondation. »

On leur apprenait à s’adapter, à devenir l’étoile rebelle autour de laquelle orbitent les planètes, c’était une logique qui appartenait à Brown, y resterait sans doute - et sur le rouge de la porte du domicile familial, si elle décidait de ne pas se défaire des racines Goddard. Billy avait l’habitude, elle ne donnait pas à ses colocataires un ticket-retour dès l’arrivée mais elle s’y préparait aussi, voilà pourquoi elle parlait du goût de l’air, des traits sur les visages des gens, la nature éphémère à première vue de ces relations pouvait laisser une trace amère derrière elle, quoiqu’il arrive, elle revenait car tous n’avaient pas de place permanente dans la vie de Billy et ça, elle était au courant.

« Je t’ai déjà croisé, en fait, enfin, c’est dur de vraiment se croiser vu qu’on a jamais un entraînement en commun- mais je suis dans l’équipe de Crosse. »

« ...J’suis presque sûre que les toilettes d’au dessus avaient lâché et inondé le plafond en fait. »

Un soleil à répétition gardait les têtes de Brown au chaud, comme si c’était une sécurité d’avoir un sol sec sous les pieds. En réalité si elle venait à parler davantage à Aiden, Billy lui expliquerait que les nuages recouvraient souvent le campus, sorte de mécanique cruelle qui allait bien avec la haute maison de l’Ivy League. Elle aurait en fait tout un paysage à dresser, de sa soeur déambulant dans les allées une bouteille à la main, un garçon tenant l’autre en passant par les éclats de rire perçant derrière les fenêtres, constamment aux bruits de couloir, c'était un sacré grabuge, Brown. Il y avait des astres plus intéressés qui gardaient cet endroit éveillé, lui, le nid à bêtes noires, souvent noyé de conflits. Billy ne pouvait pas nier que Brown était semblable à n’importe quel endroit, il amenait son lot de battements d’ailes dévastateurs, ici ou ailleurs, elle ne pouvait pas vraiment dire quel endroit était véritablement à elle, dans son coeur.

« Maudite je sais pas. C’est comme ça, ça commence à devenir la routine. Mais juste au cas où si y a vraiment un esprit frappeur, préviens moi. Depuis le temps qu’on compare les confréries à Poudlard hein. Il manquerait plus que les fantômes. »

Les fantômes: On pourrait les appeler comme ça, ils apparaissent sur quelques photos, se volatilisent dans des cartons à la fin de l'année, parfois stagnent sous des vitrines. Brown c’était un rite de passage, surtout pour une famille comme les Osborn, pourquoi faire NYCU ou UCLA quand on peut arriver par l’espace entre la porte et le paillasson avec des liasses de billets, hm?

« Oui, je joue en défense, c’est un bon poste, enfin je crois, quelques nez cassés, et ça repart. »