blood on my hands || Billy.

@Billy Osborn

Mince. À ne pas faire attention à l'heure, j'oublie que je livre des pizzas ce soir. Et que je suis en retard. Pour changer. Le casque branché, je suis à pied car mon vélo a mystérieusement crevé. Je prends la direction de ma pizzeria. Arrivé, je fais équipe avec un jeune et on se partage les livraisons. Les livraisons s'enchaînent et finissent par se terminer assez tard car il y a eu un souci en cuisine qu'on a pris du retard. Je range le scooter devant la pizzeria ayant enfin terminé le dernier service. Je salue mon patron et je finis par reprendre le chemin pour rentrer chez moi. Je marche et j'ai un gars qui me bouscule violemment. Je tombe même par terre, lancé par une vive douleur au bas du ventre à droite. Ce salaud ne m'a pas raté. Quand je me relève, je porte ma main sur la blessure. Je sens du liquide chaud souillé mes mains. En regardant, je vois que c'est du sang. Merde, il m'a poignardé et j'ai rien vu passer. Je marche en boitant, des gouttes de sang perlant et laissant ma trace derrière moi. Je commence déjà à me sentir mal, mais je dois tenir le coup jusqu'à chez moi car il est pas possible pour moi d'aller à l'hôpital. Pas les moyens. Putain pourquoi ça m'arrive. Je sais qu'on veut ma mort et ça se révèle devenir vrai. J'ai le visage pâle, de la sueur coule de mes cheveux frisés. Titubant je bouscule quelqu'un, une jeune femme.

Y a rien de fou dans la vie d’un livreur de pizzas. D’ailleurs vous vous souvenez souvent de son polo jaune et blanc tout délavé, vous vous souvenez de l’odeur de la double cheese triple chorizo, mais le visage du garçon qui vous demande las un pourboire, qu’est ce que vous en avez à foutre? Jules Smith est un passe-partout, un de ces petits bruns propulsés par une enfance floue et ses mains sont pas sales, il est malin, il délègue les tâches. Sur son scooter y a un autocollant de pizzas quatre fromages, forcément personne s’imagine qu’il est à la tête d’un des tourments de la cité. D’ailleurs les gens titubent souvent dans la rue, y a le chagrin qui marche avec eux, la maladie, la vieillesse. « Jules- » Billy photographie les visages, ce depuis toujours, que ce soit dans les magazines de mode, sur les affiches, dans le métro, dans ses souvenirs un peu brouillés à force d’être sous traitement. Mais Jules est un garçon comme les autres pour Billy et Billy l’attrape parce qu’il la bouscule comme on fait dans les films, ses sourcils se soulèvent, elle respire un peu trop vite, elle le saisit par le col et par le bras, elle lui dit « ça va? » Et puis elle l’entend qui grogne, son pouls accélère, ça y est elle est prise dans une course poursuite du coeur, quand elle recule d’un pas pour reprendre son équilibre, son pull est par endroits teinté rouge, rouge vif. « Jules? Jules tu saignes! » Ça il est au courant Billy, sa main se colle à la sienne, elle sort son portable, d’un geste lacunaire de l’autre main. « Faut- faut que j’appelle le 911 »

@jules smith

L’enfant soleil, une Osborn, à ce qu’on dit, titube, elle rattrape Jules comme elle peut, lui qui baragouine qu’il est pas question d’aller jusque Miriam. Billy le traîne jusque l’arrêt de bus, à une rue de là, elle dit rien, elle réfléchit, elle a du mal à se déplacer, c’est pas un colosse mais c’est pas non plus du matériel de crosse ou les sacs de fringues d’Ophélia à la sortie du centre commercial. Il est onze heures, peut être plus tard, elle sait plus vraiment, mais le ciel commence à se couvrir d’étoiles discrètes, ce qui leur sauvera pas la mise mais, c’est déjà ça, au mieux on les prend pour des amoureux transis, au pire, pour des gamins bourrés qu’ont acheté une bouteille de jack dans une supérette. « Oui- je vais devoir m’arrêter au campus, t’es dans un sale état. »

La jambe de Billy tremble, elle voit le bus arriver à l’autre bout de l’avenue, elle a les mains moites, elle a chaud, beaucoup trop chaud, elle regarde son bras, elle le recouvre de sa manche, il a dégueulassé ses fringues, en partie, mais tout n’est pas perdu, elle le fait avancer. « On va monter par l’arrière, que le conducteur fasse pas gaffe. » Billy elle est à court d’idées quand une vieille dame descend par là où ils doivent monter mais Jules se hisse à l’intérieur, et elle respire de nouveau. « Assieds-toi. »

Appeler Cesar?
Appeler Oxlene?
 Appeler Max?
 Appeler Felix? Mauvais plan dans tous les cas.

« Non. » La voix de Billy baisse en octaves, c’est comme un secret qu’elle lui glisse à l’oreille, un siège derrière le sien, les mains posées sur la tête du fauteuil, elle regarde dehors un coup par la vitre du bus comme si on l’observait, elle revient sur le brun. « On va sur le campus, j’ai de quoi t’aider là-bas, pas ici. » Billy elle soupire, elle s’écrase contre son dossier, elle sent bien que sa poitrine se soulève vite, fort, elle a réussi a vider sa tête mais son coeur semble plein et ses mains tremblent sur ses genoux, elle plaque la droite sur la gauche, se supplie intérieurement de se calmer, de réfléchir, de trouver une solution. Jules il a jamais eu l’air d’un mauvais garçon, faut dire que pour Billy la plupart des bêtes cruelles dans cette ville et ailleurs étaient des amalgames de peine et de chair. Et ils faisaient de leur mieux. Billy faisait de son mieux pour retrouver dans sa tête une image précise de l’agression, où, à quel angle de rue exactement, elle regardait pas, elle est pas sûre, comment, qui, avec quoi?



Billy elle s’interrompt, elle se demande pourquoi elle est assise là avec le sang de quelqu’un qu’elle connait à peine sur ses fringues, est-ce-que c’est de l’empathie, de l’altruisme ou simplement un autre moyen de catapulter de l’adrénaline dans son système? « Tu sais comment je m’appelle? » Question anodine alors que le bus se stoppe devant les bâtiments rouges bien connus, que Billy le saisit par le bras et le tire vers les battants.

« T’es gentil mais tu restes debout, tu vas pas mourir on est pas dans un film de Tarantino. Réfléchis deux secondes. » Le sang de Billy boue et grimpe dans son système, le coeur bat contre la tête, espèce d’automatisme déclenché après traumatisme, pas un chat, pas un seul. Coup de chance ou coup du sort? Rarement elle montre le personnage porté par la frousse, mais son dos est raide comme un piquet, elle sent à peine le poids de ses propres jambes quand elle atteint la légendaire porte rouge. Elle se rassure à voir qu’en y posant la main, elle est immaculée, pas une trace du massacre, rien. « Allez, grimpe, j’suis désolée mais va y a voir un peu de montée. Pas grand chose. »

Elle parlait, parlait, parlait, ça la maintenait dans le droit chemin, où elle savait anticiper ses choix, ses directions, il pouvait pas le faire à sa place Jules. Une violente envie d’attraper son téléphone et de composer le numéro d’urgence tristement célèbre dans le pays la frappait mais elle se retenait, ce serait Jules et Billy. Billy et Jules contre le monde. Quand elle tourne enfin les clés dans la serrure, elle se fige un instant avant de se souvenir que Merryn a subitement quitté le campus, et ce qui chauffait dans son bas-ventre semble remuer grossièrement alors qu’elle enfonce la porte capricieuse du dortoir avec son épaule. « Je suis seule pour l’instant alors ça devrait aller pour cette nuit. » Billy agrippe Jules, la même volonté que sur le terrain de crosse, elle  le tire et le laisse s’échouer sur le lit de Merryn comme un animal mort sur une plage polluée. « Donne-moi deux minutes, que je trouve mon set de couture. »

On se sent souvent impuissant, mais en général personne est en train de se vider de son sang en face de nous, Billy elle a la boîte minuscule entre les mains, elle en évalue le contenu, compresses, fils, ciseaux, sparadrap, c’est le genre de trucs qu’on utilise quand on s’éclate le pied contre un meuble on quand on se ramasse dans la rue, en général on a une larme qui glisse paresseusement dans le coin de l’oeil parce qu’à force, l’homme est un animal vulnérable pas foutu de se remettre de quoique ce soit. « Ok- ça va j'vais t'aider. » Elle se met à genoux, elle pourrait prier, lier ses mains, implorer, elle a toujours eu foi en la plus stupide des choses, Billy, à s’imaginer que tant que y a de la vie y a de l’espoir, mais dernièrement elle arrêtait pas de se prendre les pieds dans le tapis, et plus elle rembobinait vers ce personnage accessible, facile, qui ne serre pas trop les poings, plus elle était lâche, incapable de se tenir droit, prête à s’enfuir au moindre coup de big-bang, une pseudo-planète implosant.

Elle s’avance, toujours avachie, ses mains blanches se débarrassant du tissu qui colle à la peau et résiste, un bon moment. Billy a dilué une solution neutre à de l’eau chaude, elle vide le flacon sur la plaie ouverte du garçon et à le voir se tortiller, elle recule un moment, elle sait plus où placer sa respiration, en fait elle est pas sûre de devoir respirer ou de comment on fait pour respirer. « J’sais pas je- je sais pas quoi faire, c’est pas juste une coupure, si ça se trouve, » Elle vient compresser la plaie. « T’as besoin d’un médecin- J’dirai qu’on a essayé de m’agresser et que tu t’es interposé, ça ira comme ça, non? Ça devrait aller. Oui. Jules? »