Theory of everything — Loam

L'année universitaire défilait et Julian avait la tête toujours aussi pleine de questions. Si l'ancien nageur avait pris ses marques progressivement sur la campus et avait fait la connaissance des Sears, il exprimait encore beaucoup d'attente envers son cursus secondaire. Non pas qu'il s'ennuyait à jongler entre les philosophes, les psychanalystes et les sociologues, juste que les sujets abordés lui semblaient des plus superficiels. Les Hommes s'étaient posés des questions bien simplettes à ses yeux sur la nature de l'être humain et ses comportements. Il aurait cru, en s'engageant dans la voie des sciences humaines aller plus en profondeur, à la source même de certains sujets.

Julian était un étudiant qui cherchait à se catégoriser avec des mots précis comme toujours, alors, rester à la surface de l'eau ne l'aidait décidément pas à faire fuir son anxiété constante. Le Saunders était dans une journée sans. Il s'était presque traîné en direction de l’amphithéâtre où il devait assister à son cours de psychologie, presque, car Julian veillait comme à son habitude à arriver avec une petite marge d'avance au cas où il serait venu en aide à quelqu'un sur son chemin ou aurait dû faire demi-tour pour nettoyer la crotte de chien qui s'était invitée par mégarde sur sa semelle. Mais aujourd'hui rien de particulier ne se produisit et il arriva au niveau de l’amphithéâtre alors que des étudiants sortaient du cours précédent. A les voir ils étaient bien plus âgés que lui et sa première année à l'université. Ils faisaient partis des murs et du film qui se jouait devant les yeux de Julian depuis la rentrée.

Le jeune homme réussit à se faufiler à travers la horde d'étudiants et atteignit la salle. C'est en passant devant l'estrade où s'entretenait le professeur avec un de ses élèves que l'oreille du Saunders chercha à capter le maximum de la discussion. Il était loin de comprendre les termes employés et pourtant il sentait qu'il risquait de manquer une occasion s'il n'écoutait pas plus attentivement la conversation. Avec son grand talent de comédien, le brun se pencha pour refaire ses lacets, ne perdant pas une miette de ce qui pouvait se dire à quelques mètres de lui. Il se parlait d'aisance sociale, de différentes profondeurs de discussions, des différents degrés allant de l'extraversion à l'introversion. Un pur charabia pour lui qui n'avait jamais été un enfant particulièrement littéraire.

C'est en détournant le regard qu'il se fit surprendre tel un espion bas de gamme par le professeur en personne. « Monsieur Saunders, tout va bien? » Depuis combien de temps était-il accroupi sur le sol? Trop longtemps sûrement. « Oui. Oui professeur merci. » Répondit-il en se relevant et époussetant son pantalon. Il lui fallait trouver une solution d'en savoir plus. Vite. Non pas lorsqu'il serait en septième, huitième ou n'importe quelle année. Non. Maintenant. « Excusez moi de vous interrompre. Je voulais juste vous demander professeur si vous pouviez me conseiller un de vos étudiants pour des cours de soutien... » Assez minable Saunders. Il aurait pu faire mieux. Il était prêt à tourner les talons pour rejoindre une place isolée dans un coin de l’amphithéâtre lorsque le visage de son professeur s'illumina. « Je n'ai pas pour habitude de... Mais pour un élève demandeur je devrai pouvoir trouver... » Et soudain une étincelle jaillit de son regard. Le professeur se tourna en direction de l'étudiant en année supérieure et enthousiaste s'exclama : « Monsieur Filipps ne serait-ce pas une occasion unique de transmettre vos connaissances à un de mes premières années sérieux et motivé? » Julian aurait voulu être une mouche, ou une fourmi ou tout autre insecte assez petit et rapide pour s'échapper. Il n'avait jamais eu en tête de voler du temps à un étudiant qui n'avait rien demandé à personne. Vraiment pas, il avait juste espéré obtenir le nom de l'étudiant et l'aborder un jour ou l'autre s'il était venu à le recroiser par hasard. Rien de plus.

C'est plus tendu que jamais que Julian attentait patiemment le fameux Filipps au rendez-vous qui avait été alors convenu. Que pourrait-il bien lui dire, que pourrait-il lui demander pour y voir plus clair à travers son brouillard personnel? Il espérait alors au fond de lui que l'étudiant aurait la discussion facile et ne lui en voudrait pas trop. En attendant son arrivée, s'il daignait arriver un jour, Julian se commanda un mocha.

La tasse de Julian était encore fumante lorsqu'il aperçut l'étudiant rentrer dans le café. Ce lieu de rendez-vous avait été déterminé d'un commun accord, un endroit proche de l'université que les deux hommes connaissaient. Et puis les gérants y faisaient de délicieuses boissons chaudes. Si le cadre était propice, le brun quant à lui était bien incapable de se détendre - tapotant de manière incontrôlée son pied sur le sol. Tandis que son futur professeur passe sa commande, Julian en profite pour l'observer discrètement. Il n'est pas bien grand et ce n'est que maintenant que le Saunders s'en rend compte, en le voyant se mouvoir à travers la population du café. C'est amusant. Non pas qu'il se moque mais plutôt qu'après avoir vécu plusieurs années de sa vie avec des grands voir très grands il est facilement surpris par ce genre de détails. Il n'a pas le temps de penser à autre chose que l'étudiant arrive à sa hauteur, dépose sa boisson et ses affaires. « Salut. » Souffle Julian pour simple réponse. « Julian. » Ajoute-t'il. Déjà il peut poser un prénom sur cet étudiant. Un prénom qui lui permet de penser : Loam est agacé plutôt que : cet inconnu est agacé. En fait ça ne l'étonne même pas, son inconscient a bien vu plus tôt dans la journée que Loam n'avait pas été enchanté à l'idée de donner des cours à un étudiant.

« désolé si ce que je vais te dire vais te paraître blessant, mais si t'as besoin de cours de soutien en première année ... c'est que t'as p'être pas choisi les bonnes études. » Peut-être que tout compte fait Julian n'avait pas employé les bons mots lors de sa requête. En même temps c'est pas comme s'il avait été sérieux une seule seconde lorsqu'il s'était adressé à son professeur. Du soutien il était loin d'en avoir besoin, c'est lui qui aurait été en position d'aider un de ses camarades de promotion. Ainsi même s'il comprenait bien que Loam ne souhaitait pas le blesser, il n'y pouvait rien, son esprit le suppliait de partir au plus vite. C'était ridicule.

Le Saunders voulait fuir. Loin. Très loin. Comme toujours lorsqu'il se retrouvait face à une difficulté. Plus jeune il savait affronter les obstacles. Aujourd'hui il préfère abandonner, c'est moins douloureux. « T'as peut-être bien raison... De toute façon je m'ennuie. En cours je veux dire. » C'est sorti tout seul. Alors il se rattrape, cherche à sa justifier comme souvent lorsqu'il n'assume pas ce qui a bien pu lui échapper. « C'est intéressant c'est pas le soucis mais, disons que c'est pas ce que je recherche. En fait j'avais même envie d'abandonner la matière... jusqu'à ce que j'entende ta conversation avec le prof. » Et voilà qu'il se met à raconter sa vie. Il doit reprendre contenance. L'étudiant en face de lui avait probablement de biens meilleurs projets que d'écouter un gamin se plaindre. Julian devait jouer la positivité - ça il savait le faire.  « En vrai j'ai rien compris mais je sais pas, j'ai trouvé ça inspirant. Je crois que c'est ça que je veux apprendre. » Bon il y est peut-être allé de manière un peu trop frontale sur ce coup là mais au moins il est honnête et sincère. Les autres chapitres au programme de première année, pour l'instant, il s'en contrefout royalement.

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Plus Julian lâche des mots pour tenter de s'exprimer plus il découvre un Loam décontenancé. Il est bien vrai que le brun n'est que trop peu clair dans ses explications mais il est tellement perdu lui-même qu'il préfère laisser le fil de ses pensées s'exprimer. A priori, c'est raté, l'étudiant soupire, une fois de plus - ce n'est cependant pas encore la fois de trop pour le Sanders. Là-dessus il a encore de la réserve avant que sa confiance en lui n'atteigne le zéro et que son corps ne lui ordonne de partir. « on discutait d'introversion et d'extraversion avec le prof. c'est pas le centre du programme du moment, mais c'est une dimension que j'affection. » Lui concède-t'il. Julian connaît ces termes pour les avoir déjà entendu, ce n'est pas pour autant qu'il sait ce qu'ils signifient - véritablement. Alors qu'une lueur aurait pu apparaître dans ses yeux, cette dernière s'éteint immédiatement lorsque Loam le ramène sur terre. En huitième année... Le jeune homme le savait plus âgé, il n'aurait imaginé que Loam étudiait cette matière depuis si longtemps. Il se sentait tout d'un coup tout petit, ridicule et beaucoup des remarques de l'étudiant prenaient sens. Après tant d'années il devait bien savoir de quoi il parlait et un gamin de première année ne méritait effectivement que son statut de gamin.

Son petit monde s'effondrait progressivement, les dalles du café s'effaçaient les unes après les autres, bientôt la chaise sur laquelle il était assis disparaîtrait... C'était raté pour cette fois, Julian en était persuadé. « qu'est-ce que tu attends de moi ? » Surpris par la question, surpris par l’intérêt que Loam lui portait malgré son comportement qui lui ne traduisait que de l'agacement. « De toi? » De toi... en particulier, rien. Ou alors tout. Une lumière, un guide, une porte ouverte. Le problème était qu'à ses yeux il n'y avait aucun moyen correct pour exprimer ce dont il avait besoin. Il n'avait pas particulièrement envie de citer toutes ses angoisses et ses démons qui le hantent chaque jour. Ni de lui demander bêtement si plausiblement son comportement sociétal portait un nom. Pouvait-il vraiment lui demander? C'était étrange et pourtant c'était l'unique question qui sonnait juste dans sa tête. « J'ai besoin de savoir si je suis normal. » Bon finalement ça sonnait véritablement mieux dans sa tête que sorti de sa bouche. Et rien qu'en posant cette interrogation il obtenait sa réponse que non il était tout sauf normal. Quel genre de personne questionne ainsi les gens franchement? Il a honte. Il détourne le regard et s'empare de sa tasse encore bien trop chaude et avale plusieurs gorgées. C'est chaud, beaucoup trop chaud, brûlant même. Mais ça ne le gêne pas, au contraire à s'irradier la langue ça lui apprendra à réfléchir avant de parler. « Désolé. Comment est-ce que je pourrai être normal en te demandant ça? » Il n'ose pas vraiment le regarder, il préfère fixer les étudiants qui vont et viennent à travers le café. Son regard se pose alors par hasard sur l'horloge au-dessus du comptoir et voyant l'heure défiler il préfère ne pas embêter plus longtemps l'étudiant. « Je veux pas te déranger plus longtemps. On a qu'à dire qu'on fait comme si rien tout ça ne s'était jamais passé. » C'est sûrement ce qu'il y avait de mieux à faire.

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