Aéroport. Terre ferme avant le voyage entre les nuages. L’entre-deux.
Les grands couloirs blancs, vaste à s'y perdre, d’un blanc clinique rendant la transition entre deux terres peu chaleureuse. Les centaines de personnes, qui se croisent pour la première fois, se bousculent. Des gens pressés, anxieux de rater leur avion. Des gens ennuyés, fatigués, qui trouvent le temps long. Des profils différents, des raisons différent d'être présents dans ces couloirs apathiques.
Dans cette foule, ce brouhaha.
Jeune femme seule.
Jeune femme aux cheveux peroxydées en bataille, à la robe à fleur pas repassée, sans bagages, aux bras balançant tremblants, fébriles. Les yeux rougis, tentant de cacher les marques sur son visage. De la poudre, encore de la poudre. Toujours pas assez, toujours plus. Les poils du pinceau s’appuient une dizaine de fois à un rythme régulier, mécanique, anxyogène.
N’importe qui. Qui voyait cette inconnue pouvait se dire que c’était une femme fuyant son passé douloureux. Un mari violent. Une tromperie. Des dettes qui s’accumulèrent. Une femme désespérée. Oui, peut-être.
Ou peut-être qu’elle retrouvait son enfant, qui revenait de sa colonie, première fois qu'il voyageait seule. Une mère inquiète. Oui, peut-être.
Jugements, interprétations.
Ce n'était que des hypothèses, des probabilités.
Mais au final, laquelle était bonne, lequel de ces inconnus avaient vu juste ?
Femme anxieuse, perdue, triste et en colère à la fois, par en juger à cette façon brutale d’effacer les traces de mascaras trainant sur sa peau, par en juger par cette fureur qui transperce dans ses yeux à chaque regard croisé, à cette lèvre charnue trop de fois mordillée ces dernières minutes.
Femme seule, cette inconnue. Natalya.
Cette femme qui ne fuyait pas, ne retrouvait pas quelqu’un avec bonheur.
Elle retrouvait le spectateur de l’horreur, témoin d’un tableau macabre. Dont les victimes étaient de leur sang.
Elle avait pleuré, face à cette attente.
Car les mots de son oncle tambourinnait encore dans sa tête.
Les mots de douleurs criés à la suite, criait dans sa tête.
Dans ce silence, dans cette attente. On a le temps, de penser, et de souffrir d’événements passés.
Attendre Vladimir. L'oncle occupée, c'est grande soeur qui s'en charge. L'accueillir, pour qu'il ne se perde pas. Dans une ville méconnue, où la langue ne lui sera qu'étrangère.
Il était son frère, dans un passé qui lui semblait lointain. A ses yeux, ce frère n’était plus. Enterrée dans sa tête, comme l’était ses parents, comme l’était Valentin.
Et ce frère là, Vladimir, elle avait fait son deuil plus vite que les autres.
Dans ce raz de marée, elle aperçut une tignasse noir de jet, s’avancer devant elle. Les yeux rivés l’un sur l’autre, le regard croisé. Les traits de Natalya devinrent dures, sévères. Il était maintenant face à elle, à même pas un mètre d’elle. Elle n’osait plus le regarder dans les yeux, comme si elle avait peur qu’il lui transmette ce qu’il a vu. Voir son frère, c’était se rappeler les mots durs de son oncle, l'horreur illustré.
« Buna ziua » finit-elle par lâcher, les dents serrés, rendant le bonjour froid presque inaudible. Natalya regardait autours de lui, toujours évitante, tenter de retenir ses larmes. Ca faisait mal, si mal. De les retenir, de ne rien lâcher, de sentir cette boule brûlante coincée dans sa gorge, les nausées. Elle fixait un point lointain, regardant à travers la grande vitre de l’aéroport donnant sur la piste d’atterrissage. Elle ne pouvait rester silencieuse. Ce silence, morbide, plus douloureux encore. L’envie, de chialer. Mais pas devant lui. L’envie, de crier. Mais pas dans cette foule. L’envie, de cracher son venin.
« J’ai prié pour que cet avion n’attérrisse pas. Mais Dieu n’a pas entendu ma prière » finit-elle pas cracher, glaçante. Elle ne vrillait pas. Le regard, toujours fixant ce point.