(belly) ante up

Les rues avaient pas de nom après minuit. Les nuits de Billy s’attardaient entre invasions de chats noirs, étoiles filantes défilant sur les trottoirs et villes se noyant dans les canaux près des autoroutes. Quand elle a commencé à écrire pour parler des gens qui s’embrassaient pour respirer à nouveau, elle était pas vieille. Elle avait quoi, vu sept ou huit film de genre, les mains un peu froides parce que personne les tenait, une nourrice qui lui disait que de toute façon n’importe qui l’aimerait parce qu’elle s’appelait Jane Osborn. Elle lui avait dit que non, que c’était pas si simple, qu’elle lui expliquerait si elle prenait le temps de lire ses notes, et elle en prenait tous les jours: elle répétait; c’est pour ça qu’il ne faut pas trop parler, c’est à ce moment qu’il faut se taire, c’est là qu’il faut avancer et s’agripper à tout et n’importe quoi en priant pour que ça marche.

Les lampadaires c’est des personnes dans l’histoire de Billy, elles sont bienveillantes elles veulent seulement donner une piste, Felix lui il l’inonde de sa présence, elle essaye de faire comme si elle savait nager, comme si elle avait pas passé la moitié de sa vie à parler à trois personnes, dont un vieil homme qui lui disait que la plupart des comportements humains aussi chimiques s’avèrent-ils être sont infectés par les pensées des hommes et leurs carapace inutile, qu’ils passent leur temps à ruer de coups pour ressentir quelque chose. Billy ressent quelque chose. Felix il a toujours ses délicatesses, elle a beau y avoir échappé la première fois, il est, le plus ordinaire et le plus extraordinaires des humains - pendant une fraction de seconde, elle arrive à lui faire croire qu’elle a disparu sous le coup de deux heures que, les coups et les contre-coups ont eu raison d’elle. Mais Billy écrase son pouce contre la bouche de Felix sans cérémonie et elle lui dit: « T’as sûrement pris cher ici aussi. »

Tout est une question de distance, tout se calcule entre un point a et un point b, certains détestent ça, d’autres peuvent pas s’empêcher de remettre en question le point de mesure et beaucoup redoutent de trouver la mauvaise solution. Mais Billy est presque sûre que ça existe pas une fausse distance, parce que sinon, pourquoi la rompre? La main de Billy redescend le long de son corps, elle détache son pouce de son index, observe Felix, son accent caresse les joues de Billy, les galaxies commencent à s’éteindre sur les joues de la blonde et la lumière étouffée des rues irradie son visage. « Quasimodo? »

Quasimodo, c’était un personnage usé, Hugo l’avait façonné encore et encore sur la même base, il se fichait bien que les formes se désagrègent, il aimait tellement faire vivre les prénoms accrochés à ses entrailles qu’il était incapable de défaire les tragédies. Alors Quasimodo avait vécu, dans le soleil dégradant de Paris, il avait fini par trouver une distance à abattre par tous les moyens, il avait profondément aimé d’ailleurs, mais quand « elle » était morte, il était mort avec. Billy lève les yeux, Felix fait tomber Hugo, déclenche une guerre dans la tête de la Osborn qui se souvient de la chanson qui tournait sur le disque, des années avant, de l’écran débordant de couleur et d’une catastrophe décousue par les danses inoubliables d’Esmeralda, elle sent son coeur se débattre dans sa poitrine - elle a du mal à mesurer la distance, elle est plus sûre de vouloir, elle lève les yeux sur la fenêtre, qui s’allume comme un phare dans la nuit, décompose toute la mélodie, trop vite, Billy retrouve la main de Felix, elle connait pas les paroles, elle s’en veut, mais elle se souvient du sauvetage in extremis de tous les coeurs de Notre-Dame, elle aimerait bien que les histoires se finissent comme dans les films, avec des garçons qui embrassent la foule des yeux et trouvent des scènes sur des pavés, trouvent des filles pas très dociles,  et les font danser même de loin, quitte à mal faire.

Les cheveux de Billy vont et viennent contre ses joues, elle sourit sans plus trop savoir pourquoi, quand Felix s’arrête pour lui parler, elle a presque peur que ça déchire son visage en deux, parce qu’après tout elle est couverte de désastres, sa figure, elle le sait. Mais elle veut lui dire que oui. Il devrait continuer de chanter. Tout ce qui lui passe par la tête.

Billy se rend compte qu’ils sont sur le campus. « All those days… » Les gens veulent calculer la distance, parce qu’elle a tendance à se mettre en travers. « …Watching from the windows. All those years… outside looking in… » Ce qu’il faut savoir avec la distance c’est, qu’elle est absolument réductible. « All that time never even knowing, Just how blind I’ve… been? »

Cinq heures avant Billy est étalée sur la pelouse du stade, elle respire fort, elle respire vite, c’est pas la première fois qu’on la tacle, c’est pas la dernière, Elle est aveuglée par les spots lumineux, les allées et venue de l’arbitre, des joueurs, alliés et adverses, elle se souvenait avoir lu une fois qu’un gars pendant un match de crosse s’était retrouvé à moitié empalé mais elle se disait que c’était une de ces légendes urbaines qui traînaient sur internet, elle se redresse pour retomber aussitôt, on l’attrape, on l’emmène dans les gradins, elle rend la moitié de son déjeuner, Billy sait pas pourquoi mais elle se sent comme une aiguille remontée d’une heure, elle a l’impression d’avoir le temps, alors elle s’allonge là jusqu’à la fin du match, elle peut, tout entendre, elle compte les points de là où elle est. Billy se demande si son nez est encore là, c’est Felix Glendower, penché au dessus d’elle qui lui dit que oui.

Il avait pas sa dégaine habituelle, elle avait pas souvent vu sa tête, elle avait trop l’habitude de le voir planqué sous un casque, ce soir il était Felix tout court, pas Felix Glendower (football), sur le terrain d’à côté, il avait amené ses potes du football, ils faisaient du bruit et Billy comprenait pas tout mais elle restait sur son banc à regarder à gauche à droite jusqu’à ce que les soubresauts cessent, les blessures sèchent, Billy allait bien. Billy avait provoqué un énième accident mais elle allait bien, à partir de ce moment-là Billy savait que si elle réfléchissait à la taille des accidents, elle allait pouvoir se casser le nez plus souvent.

Pourquoi il s’arrête, non il peut faire plein d’autres trucs, chanter la suite, crier, lui faire son mouvement de sourcil, vraiment il a le droit, elle le laisse avancer, reculer, tant qu’il s’arrête pas. Billy s’arrête aussi c'est automatique, c'est de sa faute, c'est Felix, elle a pas oublié les paroles, elle sait qu’elle chante très faux, c’est tout, faut pas lui en vouloir elle a jamais su grimper sur les lampadaires, elle a jamais su, s’arrêter au bon moment, pourquoi Felix sait le faire? Alors non c’est pas comme dans les films, elle le rencontre pas à mi-chemin, d’ailleurs Billy elle titube, mais elle a le souffle de Felix qui vient embêter ses joues, elle a les mains qui s’lèvent, qui se baissent et qui reviennent pour attraper son visage, même si elle se cogne à ses bras, au final, elle attrape le garçon au coeur trop gros, elle le pousse, pas par trouille mais par impatience, elle y laisse tout son air. « T’avais dit que mon nez était toujours là. T’as raison j’ai super mal. »

Billy a longtemps cru que les battements de son coeur, parfois explosant à d’autres intersections   que celle entre sa poitrine et le haut de son ventre étaient des bestioles perturbatrices qui se mettaient à faire des concerts dans des endroits inappropriés, aux pires moments, alors, si le rythme indécent de son organe vital se mettait à accélérer contre les bords de son visage elle ne s’étonnait pas. Elle était presque sûre que ça n’était jamais arrivé au niveau de sa bouche, d’ailleurs elle se taisait, pas vraiment par choix, peut être parce que si elle se mettait à articuler quelque chose ce serait son envie de couler droit vers la tronche de Felix.

Elle avait l’impression d’assister à une chute de couleurs, dans le ciel, c’était pas un effet secondaire des anti-douleurs, en fait, il commençait juste à être tard, elle refrénait le réflexe piquant de mettre la main à l’arrière de son jean pour voir si il était trop tard, Billy savait que si les heures se mettaient à compter, elle arrêterait de le regarder dans les yeux, elle lui dirait qu’elle a prit le temps de descendre son verre pour l’entendre parler plus longtemps, ce serait risquer de ruiner sa couverture. 

« Empirer quoi? »
Billy elle regrette ses mains sur son visage, pour un peu elle lui dirait bien, ça me va d’avoir le visage entre tes mains. Felix il a l’air d’être emporté par les rires qui lui caressent la gorge à longueur de temps, elle sait pas si ça lui plait ou si ça la terrifie, elle a bien envie de mettre sur pause. Pour pas empirer, en général, on met sur pause. C’est comme ça que les gens évitent de se noyer dans leurs larmes quand ils sont immergés dans un dialogue entre deux personnages, c’est pour ça aussi que la plupart des disputes s’interrompent au milieu d’une phrase. « Attends, il m’faut une raison d’aller chercher d’la glace, tu veux? » Elle le regarde fixement, elle comptait se précipiter mais il restait au Chapin un semblant d’sourire et, elle a peiné à venir coller sa bouche contre sa joue. En se retrouvant à deux centimètres de Felix, elle se désole de rendre l'accident inévitable quand elle l'embrasse un peu trop vite, un peu trop bien.

Felix, peau tiède, yeux clairs, mais souvent lavés par les courants, fit courir le virus électrique sous la nuque de Billy, elle sentait le poids des heures lui chuchoter à l’oreille qu’il fallait probablement arrêter de le suivre, mais c’était sans compter cette main clandestine, vouée à traverser les océans avec Glendower.

La ville semblait être devenue l’animal inoffensif, bercé par les lumières artificielles des rues, et elle sentit bien son estomac se retourner, pour les sentiments morts-nés qui se bousculaient dans son bas-ventre, mais, elle n’avait rien senti- depuis beaucoup trop longtemps- Billy s’interrogea sur la pression de sa main contre la sienne, est-ce-que tout allait remonter dans le sac sans fond de la nuit ivre, est-ce-que les décors se balanceraient au bout de cordes tendues de nylon, parce que- Felix était un spectacle à lui tout seul, pourquoi serait-elle la seule à être installée dans son fauteuil d’affection, de rêve prolongé par le générique de fin, elle savait qu’une fois le jour caressant les chevilles des spectateurs, elle n’aurait plus le droit de pleurer en public pour une scène qui lui plaisait - plus que les autres. -

Elle avait le sentiment qu’avec Felix Glendower ce serait probablement cette course poursuite des mots, un flou glaussien sur le personnage qui observe, un focus sur l’énigme humaine qui semble se détacher dans le paysage. - Et le plan s’achevant, est-ce-qu’ils en ont dit assez, à tenter de s’embrasser de loin, de très près? -
Dans le noir de la pièce, elle se laissa guider comme une voyante suit un aveugle pour se glisser dans son sillage, et elle posa sa main encore brûlante sur le marbre de l’établi. « Oui, merci. »

Il a définitivement une autre tête quand elle est pas planquée sous un casque, ou sous la fatigue, ou sous les mauvais jours.
« Je suis pas, j'suis pas saoule tu sais- En fait je crois que j’ai de la fièvre.- Ou totalement autre chose mais je suis pas saoule. »